Du premier au dernier jour du Processus Hoffman, et un peu au-delà…
Bruno GAUDENS est écrivain. Il nous explique ce qui l’a amené à suivre le Processus Hoffman et en quoi cela a modifié sa manière de se positionner dans la vie.
Comment s’est passé pour toi le Processus Hoffman ?
Le tout début du Processus Hoffman a été pour moi très saisissant. Premier jour, première séance de travail, première prise de parole : comme personne ne se lançait et que je suis à l’aise avec les mots ou le fait de parler en public, j’ai commencé par un voilà…
« J’ai écrit toute ma vie des textes pour la télévision mais depuis deux ans j’ai de moins en moins de travail, de moins en moins d’argent, de plus en plus de doutes sur le fait que l’activité de romancier que je mène en parallèle décolle enfin un jour. Et je viens d’avoir 50 ans. Du coup, disons que je pense qu’il y a un lien de cause à conséquence, j’ai des flashes de mort depuis quelques mois qui commencent à m’inquiéter. J’imagine des amis qui parlent de moi, mais à l’imparfait, dans ce qui, au fond, ressemble à une oraison funèbre ; en regardant un objet chez moi je me demande soudain qui l’a pris chez soi depuis qu’il est parti ; ou tout simplement j’essaie de me souvenir comment c’était… quand j’étais vivant. Je suis donc ici au Processus Hoffman pour enrayer cela. Il faut que je réinvente ma vie, que je retrouve du désir et un nouveau moi. »
Alors que l’affaire était bien présentée et clairement énoncée à mon avis, j’entends notre thérapeute Katrin Reuter dire avec empathie : « Mmm… Je vois… Mais je ne comprends pas bien… Dis-moi, quand ton père ou ta mère ont eu 50 ans, il s’est peut-être passé quelque chose à la maison ? »
Et là, en calculant à quelle époque de ma vie ça nous fait remonter, je sens soudain comme un énorme coup de pied dans le ventre. Quelque chose de très violent mais qui ne fait pas mal. Mais je m’accroche au dossier de la chaise pour ne pas tomber car je suis physiquement déstabilisé : je viens de comprendre que c’est le moment où mon père a décidé de changer de vie et de femme et où ma mère a choisi, ou n’a pu faire autrement, de camper sur sa position, selon laquelle aucune autre vie si ce n’est celle avec mon père ne méritait d’être vécue. Elle est morte d’un cancer du sein quelques années plus tard, il est quant à lui allé droit dans le mur à sa manière – et moi (je crois que ça je l’ai hurlé car tout déboulait douloureusement vite dans mon esprit) « et moi je refuse, je ne vais pas, je ne peux pas mourir comme ça ! » Je ne m’attendais pas à un début aussi fort. C’est impressionnant, évidemment.
Cette première expérience « impressionnante » s’est confirmée durant le processus ?
Oui, autant que cette approche Hoffman consistant à rapprocher systématiquement nos mots, nos impasses et nos comportements actuels d’un passé sur lequel nous butons toujours, afin de court-circuiter la réaction ou les automatismes que nous enclenchons depuis et bien malgré nous.
Avec une entrée en matière pareille, je me suis surpris à espérer une suite digne d’un film de Pedro Almodóvar ou inspiré de Tennessee Williams : dans un rayon aveuglant de lumière, le passé allait déchirer son voile et pulvériser la douleur qui tomberait soudain à mes pieds en poussière fine (dans un bruit assourdissant). Bien entendu ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées.
En revanche, la recherche méthodique et sans relâche des points de concentration des douleurs passées a commencé. Chaque jour, par des approches renouvelées et surprenantes, nous avons exploré tous les rapprochements présent-passé susceptibles de faire des étincelles (« Cette chaise ? Qu’est-ce que je pense de cette chaise-ci ? Que c’est ma place. Je suis bien assise les jambes croisées et je suis à l’endroit qui me revient. Bon… c’est dommage uniquement que ce soit la dernière place. Comme toujours »).
Chaque jour, faisant appel autant aux souvenirs verbalisables qu’aux émotions inscrites dans notre corps, nous avons recherché l’emprise somme toute très physique de ce passé qui ne veut pas passer (« Ok Jacques, quand ta mère se mettait à crier, sa réaction t’étouffait tu dis, n’est-ce pas ? Mais là, là maintenant, permets-toi de respirer enfin profondément, allez – res-pi-re ! »).
Chaque jour, nous avons dressé ensemble nos cartographies émotionnelles un par un pour arriver à en dégager les points essentiels – et réagir. Maintenant.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans le Processus ?
La chose la plus frappante dans le Processus Hoffman n’est pas la recherche du passé douloureux commune à beaucoup de thérapies mais les moyens déployés, entre-temps, pour dépasser ce sur quoi chacun achoppe toujours. Il s’agit en fait d’un faisceau serré d’exercices de visualisation, de méditation, de mises en scène, d’approches symboliques ou créatives et de différentes écoutes du corps, qui ont pour but de nous ancrer en nous-mêmes à présent. Et on se surprend, en passant d’un exercice au suivant, à remarquer à quel point ils sont complémentaires et interconnectés. De sorte à vraiment sérier tout le champ, toutes sensibilités confondues et dans la plus grande des libertés néanmoins : chaque exercice est une proposition aménageable, ou que l’on doit du moins s’approprier « parce qu’attendez une seconde : il est vrai que je vous ai proposé de visualiser un espace intérieur avec des fleurs et de la mousse. Mais si vous trouvez ça comme dit Bruno un peu nunuche, mettez donc à la place un univers de béton, de verre et de bois – je vous en prie ».
Le début théâtral et tonitruant de la semaine de Processus Hoffman a ainsi évolué vers un travail méticuleux, consciencieux et très respectueux (respectueux autant de soi que des autres d’ailleurs). Mais comme chacun a une manière différente de se délester de ses fantômes, du ressentiment ou des non-dits, nous avons tous à tour de rôle écrit sur un grand tableau quel était notre objectif personnel en une phrase qui est restée dans la salle commune jusqu’au départ. Le mien était formulé ainsi : « Vivre mon désir de manière indépendante ». Nous ne sommes pas revenus, en groupe, sur ces objectifs définis dès le premier jour et je ne m’y suis pas penché davantage de mon côté.
Je me suis demandé en revanche avant de partir, avec une grande curiosité, qu’est-ce qui allait me rester de tout ce travail, qu’est-ce qui allait changer dans ma vie, et si j’allais m’en rendre compte tout de suite ou pas. Puis j’ai pris le train et je suis rentré à Paris.
Comment s’est passé ton retour à la fin du Processus ?
A posteriori, je crois que ce qui m’a le plus impressionné est bel et bien ce retour. Rien de fracassant assurément : j’ai retrouvé mon appartement et ma vie exactement comme je les avais laissés. Mais je me sentais, moi, légèrement déplacé. En fait, le Processus Hoffman ne m’a pas changé, non, mais il m’a permis de changer imperceptiblement ma manière de me positionner. Un rien, justement, qui change tout. Et avec lui, cette sensation de liberté retrouvée qui donne du pétillant à la vie. Bref, en me réveillant je me sentais mieux et j’avais envie de sortir du lit, tout en sachant pertinemment que rien d’extraordinaire ne m’attendait pendant la journée.
Et puis, trois semaines plus tard, j’ai eu un véritable ennui. Pour le livre que je suis en train d’écrire, j’avais besoin d’entrer en contact avec un spécialiste très pointu, à tel point que je me sentais des ailes, ayant réussi à intéresser un professeur du Collège de France. Oui, mais j’attendais son aide depuis 5 mois déjà et là, tout d’un coup, le mail que je recevais de lui me faisait comprendre qu’il me laissait en rade. Je me retrouvais seul. Sans appui. Sans piste pour mon roman qui visiblement n’intéressait que moi. Avec en revanche une détresse dans le ventre qui dépassait de loin le problème présent. Pas pour longtemps cependant.
Avec une drôle d’énergie je me suis retrouvé le téléphone en main à appeler les gens les plus improbables, à la recherche d’une solution. Tout en me sentant franchement absurde. Mais deux heures plus tard, je la tenais, ma solution.
Et mieux encore, je me suis aperçu soudain (un sandwich à la main entre-temps parce que j’avais sauté le repas) que… mais que j’avais poursuivi mon désir « de manière indépendante » ! J’avais donc atteint mon fameux objectif. Non seulement ça, mais en plus je l’avais fait sans même m’en apercevoir. Tellement je l’avais déjà intégré ? M’enfin… ça se passe comme ça, sans prévenir, sans… sans rien, et on s’en rend compte seulement après ?
Eh bien oui.
Bruno Gaudens a publié
« Bruxelles, Bruno et les cadeaux ». Ed. Nicolas Philippe, 2005 ;
« Paris c’est mon choix ». ED. Le Veilleur de nuit, 2009
Gierik & NVT : participation au numéro de la grande revue flamande consacré aux auteurs belges ayant choisi Paris, 2012
Venezia Art Magazine : articles sur la Biennale de Venise, 2015
« Assurance de France a un problème avec Colette », 2017